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19/10/2012

Flash back

Attablé dans un petit restaurant qui a la particularité de servir un steak-frite-salade pour moins de 15$ (10€) taxes incluses, je repense à ces derniers mois. C'est la deuxième fois que je viens ici. C'est mon deuxième steak en quatre mois. Il faut savoir que je suis un "beef-eater". Pas gargantuesque, mais cela fait partie de ma diète indispensable. Je n'ai mangé de la viande que 5 ou 6 fois durant cette période...

Le verdict est tombé, je suis anémié. Cette fatigue, cette incapacité d'agir normalement s'est retrouvée inscrite dans mon sang.

Alors j'entends les discours... "quand on veut..."

Je lis ces petits commentaires incendiaires du style "je donne une pièce pour m'apercevoir ensuite que le sdf a un smartphone alors que moi-même ne peux pas m'en acheter un..."

Je me projette; je ne mendie jamais, mais imaginons... je n'avais pas mangé normalement depuis des semaines, perdu 6 kilos...

Quand j'ai reçu un montant d'argent dû depuis longtemps par un client, je suis allé dans ce petit restau...je n'avais pas mangé un vrai repas depuis des semaines, et j'étais déjà manifestement anémié.

mais si j'avais mendié, et qu'une personne m'ait donné de quoi me payer ce restau... Assis devant mon steak... imaginons toujours... je vois une personne qui m'a donné une pièce un peu plus tôt me dévisager en se disant "je lui donne une pièce et regardez, il se paie un restau alors que moi..."

Alors, on donne, ou on ne donne pas! Mais de grâce, cessez de juger...

J'ai passé des mois dans la rue ces dernières années. Je n'ai pas vu UN SEUL sdf qui n'ai pas besoin de suivi psychologique ou psychiatrique.

"Oui, mais il y en a pour qui c'est un mode de vie..." ou "tu leur proposes une place en refuge, ils refusent..."

Avez-vous déjà été dans un refuge pour sans-abris?

J'y ai passé une fois quelques moments... un centre bien tenu, propre, mais la clientèle était lourde. Toxicos, psychotiques qu'on a sorti des hôpitaux psychiatriques dans ce mouvement d'allègement des centres et des frais reliés à la santé mentale... Quatre par chambre... cela parait raisonnable, mais quand les voisins parlent tout seuls, crient... Et je ne parle pas du vol, de la violence sous-jascente en permanence (si un résident en agresse un autre, ça ne fera pas les gros titres comme quand un dément en liberté tue un "honnête citoyen" lambda dans la rue. On lira peut-être deux lignes anonymes; "deux clochards s'entre-tuent dans un refuge!", si il y a mort d'homme seulement. La première fois où on les considèrera à nouveau comme étant humains... peut-être pour un jour justifier de passer un loi autorisant l'administration à prélever leurs organes sans leur autorisation... (croyez-le ou non, j'ai déjà entendu cela!)

Moins d'une heure dans ce centre et je serai monté sur le toit pour faire cesser ce calvaire d'un plongeon libérateur! Alors je suis retourné dans la rue, par moins quinze degrés, sans hésiter!

Alors si on me dit; "pourquoi tu ne vas pas dans une refuge", je dirais "je préfère encore la rue". Ce n'est pas un choix. Pour moi, la rue, c'est le dernier rempart avant la mort. Un refuge, c'est renoncer à être considéré comme un être humain. Un refuge, pour moi, c'est la mort!

Derrière chaque être humain dans la rue, il y a une histoire, souvent insoutenable à entendre. Je peux vous le dire, j'ai écouté, beaucoup écouté.

Une seule personne connait ma vie dans certains de ses détails les plus sombres. Cette personne avait été un enfant battu que son père lançait contre les murs (au sens propre!), tabassait jour après jour depuis aussi loin que remontait sa mémoire, au point où elle était consciente par moment que son cerveau était irrémédiablement endommagé par ces années de maltraitance. Cette personne qui a été violée, dont des vautours ont abusés, après avoir écouté mon histoire, a trouvé incroyable que j'ai pu survivre à tout cela, trouvant que ma vie avait été pire que la sienne. Et pourtant, moi, je trouvais sa survie plus incroyable encore... Rendu dans cette surenchère de l'horreur, que pensez-vous...? Deux borgnes au royaume des aveugles, est-ce que cela fait un voyant?

Alors, si vous voyez un sdf avec un smartphone, dîtes-vous que c'est souvent son dernier moyen de contact avec le monde, son dernier petit espoir. Dîtes-vous que quelqu'un lui a peut-être donné lorsqu'il s'en est racheté un neuf, comme je l'ai déjà vu... ou, comme moi, qui en ai sauvé un de sa misère. Oui, je suis un sdf de luxe, avec un ordinateur portable, un appareil photo, un lecteur MP3 et un vieux smartphone qui me permet d'être en contact plusieurs fois par jour avec le monde, pour tenter de ne pas perdre un contrat, surveiller la météo, appuyé sur le mur exterieur d'un café avec un hotspot, ou dans le hall d'une bibliothèque, pour pouvoir appeller via internet un client, ou un intervenant dans l'espoir d'un rendez-vous médical...

Et puis, donnez... ou ne donnez pas, mais de grâce, après avoir donné, ne jugez pas ce que la personne va faire de votre don, parce que nous sommes des êtres humains qui essayons, chacun à sa manière, chacun de son mieux, de sauver notre peau.

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